La recommandation d’un moratoire des projets d’incinérateurs par l’Europe.

Le 26 janvier 2017, la Commission Européenne a recommandé aux Etats-Membres qui disposent d’une surcapacité en terme d’incinérateur (c’est le cas de la France avec 1/3 du parc européen), à instaurer un moratoire sur la construction de nouveaux incinérateurs.
L’ONG [1] « Zéro Waste » a donné son analyse de ce texte : L’analyse par Zéro Waste
Dans ce texte, la Commission Européenne invite les Etats-Membres à :

  • supprimer les aides publiques à l’incinération des déchets,
  • accroître les taxes pesant sur ces usines,
  • et réorienter les financements publics vers des projets tendant vraiment à une économie circulaire.
    Cette demande a été reprise par l’association "Zéro Waste" mais aussi FNE [2],

A lire :

La convention d’Aarhus : une obligation de transparence au niveau national.

La convention d’Aarhus vise à instaurer une démocratie environnementale. Elle réglemente l’accès à l’information et la participation du public au processus décisionnel en matière d’environnement. Elle a été signée le 25 juin 1998 par trente-neuf États, dont la France.
Ses trois grands objectifs sont :

  • améliorer l’information environnementale délivrée par les autorités publiques.
  • favoriser la participation du public à la prise de décisions ayant des incidences sur l’environnement.
  • étendre les conditions d’accès à la justice en matière de législation environnementale et d’accès à l’information.

Le projet actuel, s’il respecte la règle, ne respecte pas l’esprit de la convention d’Aarhus en négligeant les citoyens qui ont été écartés de l’élaboration et de la consultation.

A lire : Le texte officiel de la convention

Le choix d’un incinérateur n’est plus de la compétence du département.

La réforme territoriale (Loi NOTRe) donne aujourd’hui aux régions la compétence pour élaborer un plan régional d’élimination des déchets (article 8).

  • L’ADEME [3] préconise que les décisions en matière d’élimination des déchets soient prises au niveau régional : « L’ADEME recommande d’établir un état des lieux de l’existant (besoin de capacités de traitement, contrats d’exploitation en cours, ...) et de définir des projections en cohérence avec les travaux de planification menés au niveau régional et à l’horizon 2025 de la Loi de Transition Énergétique pour la Croissance Verte. ».
    C’est donc, si l’on veut respecter le partage des compétences, à la Région de gérer ce dossier et la question de l’élimination des déchets et non plus au Département.

Interpellé par la députée Valérie Bazin-Malgras, le gouvernement a très récemment rappelé cet élément et les prérogatives de la région en la matière : « Les différentes évolutions prévues du parc d’incinérateurs se feront de manière mesurée et ciblée, notamment dans le cadre des plans régionaux de prévention et de gestion des déchets (PRPGD), en cours d’élaboration »

FNE, principale association environnementale en France, vient de demander le gel immédiat de tous les projets d’incinérateurs (et notamment celui de La Chapelle Saint Luc) au regard de l’élaboration prochaine des plans régionaux et des risques que font courir ces projets sur l’essor de l’économie circulaire.

Il est nécessaire d’attendre l’élaboration de ce plan régional avant d’envisager tout projet d’incinérateur.

A lire :

Absence de prise de position des élus.

Aucun des élus du SDEDA [4] et du Conseil Départemental n’a pris position publiquement au moment des différents scrutins en faveur ou en défaveur de ce projet.

Insuffisance de débats publics.

Jusqu’à cette enquête :

  • Une seule réunion publique de présentation du projet organisée à La Chapelle Saint Luc en janvier 2017 ;
  • Un seul débat contradictoire organisé en septembre 2016 à Sainte-Savine à l’initiative d’une association locale (SAVIPLUS).
  • Une réunion a également été organisée à la toute fin de l’enquête publique annulée (10 janvier 2018).

Il n’y a donc eu aucune réunion publique et aucun débat contradictoire en amont du projet, organisé par le SDEDA, qui aurait pu permettre une participation effective des citoyens au processus d’élaboration. De fait, le projet est aujourd’hui présenté comme acté dans ses grandes lignes. Les quelques réunions mentionnées ci-dessus n’ont donc qu’un aspect formel et ne peuvent être considérées comme des éléments d’une concertation préalable.

Cette absence de volonté de faire participer le public est contraire aux prescriptions de la convention d’Aarhus (Articles 4, 5 et 6) relative à l’information et la participation des citoyens sur les sujets relatifs à l’environnement.

Cette situation est également contraire à l’ordonnance d’août 2016 qui introduit désormais (Section 4) une concertation préalable dans les projets assujettis à une évaluation environnementale.

Une communication vers le public très insuffisante

La communication autour de ce projet a été notoirement insuffisante.
D’une part en raison de la faiblesse de la couverture médiatique. Avant 2014 [5], il n’y a eu aucune communication publique par des supports usuels sur l’hypothèse d’un incinérateur. Depuis 2014, les rares articles publiés placent les citoyens devant le fait-accompli.
D’autre part, le terme de "UVE" utilisé dans la communication du SDEDA a contribué à masquer la réalité. Cette dénomination ne correspond pas l’appellation réglementaire et législative "Installation d’incinération ou de co-incinération, incinérateur", communément utilisée et connue du public.

Des réunions de présentation interdites au public.

A l’exception des réunions organisées à La Chapelle Saint-Luc en janvier 2017 et en janvier 2018 (dans le cadre de la précédente enquête publique), toutes les réunions qui ont eu lieu concernaient un public désigné, invité (essentiellement des élus).
Ce manque de transparence dans le processus démocratique est contraire aux prescriptions de la convention d’Aarhus (Articles 4, 5 et 6) relative à l’information et la participation des citoyens sur les sujets relatifs à l’environnement.

Absence de consultation des riverains dans l’élaboration du projet.

Les riverains n’ont jamais été consultés dans l’élaboration du projet ce qui est contraire aux prescriptions de la convention d’Aarhus relative à l’information et la participation des citoyens sur les sujets relatifs à l’environnement. Les riverains (La Chapelle Saint Luc, Les Noës près Troyes, plus largement l’agglomération troyenne) n’ont pas été consultés en amont du projet.

L’incinérateur : le scénario le plus mal noté.

Différents scénarios ont été étudiés et notés par le SDEDA en septembre 2010. En terme d’acceptabilité par la population les notes sont les suivantes :

  • Incinération SDEDA : 4/20
  • Compostage SDEDA : 8/20
  • Méthanisation SDEDA : 12/20
  • Centre d’Enfouissement Technique : 16/20
  • Incinération extérieure : 20/20
    Le scénario préconisant le traitement extérieur des déchets est jugé « le plus intéressant sur tous les critères (coût du traitement, investissement, acceptabilité) à l’horizon 2015 ». Il a pourtant été écarté.
    Les critères qui ont conduit au choix de cet incinérateur manquent de clarté et de cohérence.
    Les raisons qui ont guidé le choix de ce projet ne sont pas assez étayées.

Un premier vote des élus orienté.

La délibération de 2012 basée sur le seul gisement des OMR

La première décision est prise en octobre 2012. Elle n’évoque pas d’incinérateur mais une « valorisation matière et énergétique des déchets non-dangereux » (Rapport d’octobre 2012). Cette appellation peut désigner plusieurs autres procédés de traitement bien différents d’un incinérateur notamment la méthanisation.

  • Le manque de clarté de la délibération a pu être de nature à tromper le vote des élus.
  • En ne proposant qu’une seule et unique proposition (l’incinération), cette délibération orientait fortement les élus vers cette solution.

Le choix de l’incinération a donc été, à notre sens, très fortement orienté sans donner lieu à un véritable exercice démocratique dans lequel les élus auraient pu choisir d’autres solutions alternatives.

A lire : Le rapport d’octobre 2012

Une commission de concertation ‘’fantomatique’’.

Une commission de concertation a été créée en 2013. Cette commission ne comportait que 2 membres d’association sur les 16 membres. Les 14 autres sont des institutionnels ou des élus.
Le public n’a été informé ni sur le nombre de réunions, ni sur les débats, ni sur les conclusions de cette commission.

Cette opacité et l’impossibilité pour le public d’adresser des observations à cette commission permet de considérer que celle-ci ne répond en aucune manière à l’ordonnance d’août 2016 qui introduit une concertation préalable dans les projets assujettis à une évaluation environnementale.

Nous sommes loin de la transparence exigée par la convention d’Aarhus relative à l’information et la participation des citoyens sur les sujets relatifs à l’environnent.
A lire : La composition de la commission

L’enquête publique de 2014 relative au plan de gestion des déchets : confidentielle.

Il n’ y a pas eu de débat démocratique préalable, ni de communication à la hauteur.

  • Dans le document de 144 pages de cette enquête :
  • Le mot incinérateur apparaît 2 fois seulement.
  • Le sigle UVE est absent
  • L’expression « Unité de valorisation énergétique » est présente 5 fois.
    Le public ne pouvait donc pas prendre conscience du projet et des enjeux. Il y avait là un manque évident de transparence.
  • L’enquête publique s’est déroulée dans une quasi-confidentialité :
  • Seulement 2 contributions citoyennes dont aucune ne porte sur l’incinérateur.

Les conclusions, à ce propos du commissaire enquêteur, sont lucides : « le public ne s’est pas déplacé pour s’informer, questionner ou adresser ses observations. Comme à chaque fois en la circonstance, nous ne saurons pas s’il est passé à côté de l’information, ou s’il s’est désintéressé de cette Enquête Publique. Les annonces officielles dans la presse comme les affichages en mairies ne sont guère lues. »

  • L’organisation de cette enquête ne permettait pas une participation digne de l’enjeu :
  • Seulement 12 permanences sur tout le département.
  • Des créneaux horaires loin d’être suffisants. Ex : A Troyes pour rencontrer le commissaire-enquêteur et lui faire part de ses observations, deux créneaux de deux heures étaient disponibles : le vendredi 23 mai de 9h30 à 11h30 et le lundi 24 juin de 14h30 à 16h30.
  • De nombreuses villes concernées par ce plan départemental n’ont disposé d’aucune permanence (Romilly ou Bar/Seine).
  • Il était Impossible d’adresser ses observations par mail.
    Ces modalités sont contraires aux prescriptions de la convention d’Aarhus relative à l’information et la participation des citoyens sur les sujets relatifs à l’environnent. Et malheureusement, le scénario semble se répéter.

A lire : les conclusions du rapport de 2014

Le choix du délégataire avant l’enquête publique.

Le processus de décision a conduit le SDEDA à signer un contrat avec le délégataire (Véolia) avant même la tenue et les conclusions de l’enquête publique sur l’incinérateur.
Ce déroulement revient à mettre l’ensemble des élus et des citoyens "devant le fait-accompli", c’est à dire considérer la construction d’un incinérateur comme actée alors même que le processus démocratique ne soit lancé.

UVE : un terme de nature à dissimuler l’objet de l’enquête

Le terme « UVE » est de nature à dissimuler la réalité du projet soumis à l’enquête et ne permet donc pas d’assurer la publicité nécessaire à celle-ci.
Ce terme « UVE » ne correspond pas à l’appellation couramment employée pour ce type d’installation, ni à l’appellation utilisée dans les documents réglementaires et législatifs : "Installation d’incinération ou de co-incinération, incinérateur" [6] . C’est pourtant ces termes qui font sens pour le public. De même, la filiale "Valaubia" masque la multinationale "Véolia".
Ce projet a été pensé d’abord pour éliminer des déchets, c’est sa raison d’être initiale et c’est pour cela qu’il est porté par le SDEDA [7] au non le SDEA [8].
Ce terme d’UVE est celui usité aujourd’hui par les industriels qui, ainsi, mettent en avant la dimension secondaire (la production d’énergie) au détriment du motif initial tel que d’ailleurs il apparaît dans l’enquête publique de 2014.
Par ailleurs, la littérature sur le sujet (Rapports de l’ADEME, de la Commission Européenne, de l’INVS, du Commissariat Général au Développement Durable) ne fait mention que d’incinérateur, jamais d’UVE.

Nous rappelons l’importance pour le public : «  D’accéder aux informations pertinentes permettant sa participation effective » [9]. L’intitulé de l’enquête est centrale dans la qualité de l’information et dans la participation effective du public. Il est évident que l’intitulé dissimule la réalité du projet et son objectif premier.
Ici, le risque de « mal nommer les choses » est d’ajouter de la défiance envers le processus démocratique que constitue cette enquête.

Un périmètre d’enquête insuffisant

Le périmètre de cette enquête est inadapté. A cet égard, l’avis de l’autorité environnementale rendu en très récemment indique : « le périmètre d’impact potentiel du projet n’est pas défini ; ce périmètre aurait permis de préciser la zone d’enquête publique, si l’impact potentiel dépasse les 3 km prévus par la réglementation » [10]

Il nous semble évident que ce projet a une dimension départementale et que les impacts environnementaux potentiels dépassent le périmètre de 3km retenu. La dispersion des polluant par les vents mais surtout le transport des déchets vers le site ou le transport des produits polluants (mâchefers et Refiom) à l’extérieur de site suffisent à considérer que les impacts dépasseraient le cadre des 3km. Par ailleurs, les habitants de Romilly/Seine, Bar/Aube, Bar/Seine... sont tout aussi concernés par l’élimination des déchets et ses conséquences sur l’environnement.

Par ailleurs, le nombre des permanences (seulement 6), les horaires retenus (uniquement pendant les heures de travail) ne peuvent permettre une participation du public à hauteur de l’enjeu du projet.

Les modalités d’organisation de cette enquête ne permettent donc pas d’en garantir la légitimité.

Communication : La politique du fait-accompli

La communication du SDEDA et de Valaubia procède de la politique du "fait-accompli". On peut ainsi lire sur le site internet de Valaubia : « L’enquête publique peut donc apporter des améliorations en termes de suivi mais ne peut pas apporter de modifications substantielles de l’équipement. »
Cet élément laisse donc à penser que le projet serait définitivement acté et que les résultats de l’enquête n’aurait qu’une portée marginale.
C’est factuellement faux puisque nous savons que de nombreux projets sont annulés après un avis défavorable rendu.
Cette communication du porteur du projet par son insincérité est donc de nature à fausser la participation du publique à l’enquête.

[1Organisation Non Gouvernementale

[2France Nature Environnement regroupe 3 500 associations partout en France

[3Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie

[4Syndicat Départementale d’Elimination des Déchets de l’Aube

[5Date de l’enquête publique sur le plan départemental d’élimination des déchets

[6Cf. Arrêté du 20 septembre 2002

[7Syndicat d’Elimination des Déchets

[8Syndicat de l’Energie de l’Aube

[9Ordonnance d’août 2016

[10Avis de la MRAE, p.6